Maurice Fournier, architecte

10 avril 2017

L'architecture est un art, Propos et souvenirs d'un architecte


En débutant cet ouvrage écrit en 1966 par l'architecte Maurice Fournier, je me suis fait cette réflexion : « Ah, ça commence par une partie biographique. Bon ! je m'en fous un peu, je vais lire entre les lignes et arriver directement à ce qui m'intéresse ». J'aurais eu bien tort d'agir ainsi, pour deux raisons : La première c'est que ce livre EST une biographie (difficile donc de passer à côté), pas un ouvrage d'architecture et la deuxième, c'est que la vie de cet homme et la façon qu'il a de la raconter est absolument passionnante pour tout le monde, intéressé par l'architecture ou non.

Car cet homme a eu une vie fascinante. Enfant d'une famille d'agriculteurs Limousins, au dessus de la moyenne pour son certificat d'études, il lui est proposé une poursuite d'études en vue de devenir instituteur. Il envisage un temps une carrière de barbier. J'ai personnellement ri comme un bossu en lisant cette anecdote :

Dès que je lui [le client] passe la serviette autour du cou, je décèle un de ces parfums intimes qui m'incite à garder mes distances. Qu'est-ce que je déguste ! C'est à s'évanouir. Je sens que mon dîner va chavirer.
Après la première opération, je repasse le blaireau sur son visage mais en prenant la précaution d'obstruer sa bouche avec la mousse du savon pour le mettre dans l'obligation de respirer par le nez. Mais c'est peine inutile ; le parfum est tout aussi violent. Ça vient des profondeurs de son individu. Chez moi, c'est le lapin-chasseur du dîner qui monte et qui menace de s'évader et je dois faire des efforts inouïs pour ne pas le laisser s'échapper.
Enfin, j'en ai terminé
C'est à ce moment que le client pousse un soupir de soulagement et m'envoie un de ces effluves odorants, qui fait chavirer le lapin-chasseur que je lui expédie en pleine figure.

Il faut avoir fait une bonne introspection sur sa vie pour oser raconter ceci aussi simplement.


Les débuts

Entrecoupé d'histoires de cœurs, c'est tout le récit de son ascension sociale qui est fascinante. Il débute larbin dans un cabinet d'architecte. C'est sa passion pour le dessin (il reproduit des façades) qui lui vaut la curiosité de son premier employeur, qui décide d'exploiter ses qualités, tout en le décourageant d'aller plus loin :

Maurice, vous êtes un excellent dessinateur, mais l'architecture exige d'autres qualités qui sont essentielles : il faut avoir de l'imagination et être doué d'un tempérament résolu. Or, étant affligé d'une timidité excessive et totalement dépourvu d'initiative et de volonté, vous n'avez aucune chance de réussir dans cette carrière.

Cette appréciation abrupte et tranchée a beaucoup marqué Fournier, assez pour en reparler en toute fin d'ouvrage, invitant les parents et les pédagogues à beaucoup de prudence avant de prononcer de telles phrases.

Ascension sociale

La situation financière ne fait que s'améliorer. On passe de 20 francs par mois à 100 francs de l'heure en quelques années. Les concours, les beaux-arts, les premières œuvres, le concours de la ville de Paris. Tout ceci est fascinant et nous en apprend beaucoup sur le métier dans les années 10-20.

Et puis il y a la guerre... les guerres car il en connaît deux. Et qui dit guerre dit fin du conflit et reconstruction. Les années 20 et 30 se passeront pour lui entre Paris et Reims, les années 40 en Bretagne.

Dur métier

Je ne résiste pas à l'envie de partager avec vous mon passage préféré. Fournier est un visite chez un architecte, cousin d'un de ses amis. Dans son cabinet, l'homme leur dit :

- Mes amis, vous abordez une profession qui serait attrayante si on pouvait l'exercer en toute indépendance, comme le font les peintres, les sculpteurs, les musiciens et se laisser conduire par son esprit créateur, au gré de son imagination. Mais hélas, il faut subir le goût du client et aussi celui de sa fidèle épouse qui va solliciter l'opinion éclairée de sa voisine ou de sa meilleure amie. Et quand le projet, revu et défiguré, est enfin réalisé, il y a le règlement des comptes qui provoque des discussions avec les Entrepreneurs et éveille aussi parfois la suspicion la plus désobligeante du client./

Notez qu'à l'époque, la femme ne peut être autre chose qu'une épouse. Ceci mis à part, ce trait d'ironie est déjà passionnant à lui seul mais la suite le rend comique. Je suis fasciné par l'humour des hommes de cette époque.

C'est ainsi qu'ayant achevé la construction des écoles de cette commune et présenté ma note d'honoraires, celle-ci a été refoulée par le Maire dans les termes suivants :
« Le conseil municipal, considérant que le montant des travaux a été réglé par l'architecte, avec une majoration de cinq pour cent sur les prévisions de son devis, le rend responsable de ce supplément de dépenses, et, en compensation, refuse le paiement des dits honoraires. »
- Je pense que vous avez vivement protesté ?
- Non, j'ai pris une toute autre attitude ; j'ai simplement adressé au Maire une lettre dont voici la copie :
« Monsieur le Maire
C'est ma faute
C'est ma faute
C'est ma très grande faute.
J'ai pleinement conscience de la gravité de ma conduite.
Vos accusations sont parfaitement justifiées et ma culpabilité est sans excuse. Déshonoré, rongé par les remords, je sens que je ne pourrai survivre à la honte et au désespoir.
Mais au moment de quitter cette terre et de rendre mon âme à Dieu, je vous confie mes dernières volonté ; Pour la cérémonie funèbre, pas de fleurs, pas de couronnes. La seule faveur que je sollicite de votre infinie bonté est de faire poser sur ma tombe une simple dalle portant cette inscription :


CI-GÎT : BOUTIER
VICTIME DU DEVIS »

- Et quelle a été la réaction du Maire ?
- Il m'a fait parvenir la réponse suivante :
« Le conseil municipal, profondément ému par votre repentir, vous accorde son indulgence. Mais, comme sanction à votre culpabilité, vous condamne à payer une tournée générale. Cette délibération a été adoptée à l'unanimité. »

Art Nouveau

Au cours de ses études, il est amené à croiser l'Art Nouveau, qu'il appelle le plus souvent « Modern-style », qui glisse totalement sur lui sans laisser son empreinte :

Je constate que les promoteurs de l'Art Nouveau, qu'ils soient peintres, sculpteurs ou architectes ont le mépris total du déjà vu et éprouvent surtout le besoin d'épater le bourgeois et d’effaroucher les grands Maîtres de l'art officiel. D'après eux, il faut balayer toutes les traditions, mais pour aller où ?

Modernité

Le livre mériterait peut-être d'être relu mais je n'ai pas vraiment trouvé chez Maurice Fournier de discours sur la modernité ou la fonction du bâtiment dans l'Art. L'ouvrage est beaucoup placé sous le signe du rapport entre l'architecte et ses clients, sa hiérarchie, la bureaucratie, les incertitudes, les budgets. Une exception : Auguste Perret et son théâtre des Champs-Élysées qui ont impressionné l'architecte, qui lui réserve un petit paragraphe.

Il a démontré que le béton armé pouvait trouver une application efficace dans les ouvrages de caractère monumental. Et on peut affirmer que Perret représente une des plus authentiques valeurs françaises et qu'il est un des plus purs serviteurs de l'Architecture (sic pour la majuscule).

Tout ceci est passionnant et bien que ce soit l'inverse de ce que je comptais trouver en l'achetant, je vous invite à acquérir (d'occasion) ce petit livre de 150 pages.


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