L'architecture dans les tableaux de Tullio Crali

21 juin 2019

Tullio Crali (1910 - 2000) est un peintre italien qui a rejoint sur le tard le mouvement futuriste, en se liant d'amitié avec ses aînés Tommaso en 1928 puis Marinetti l'année suivante. Ses toiles de début de carrière s'inspirent largement du cubisme, qui ne disparaîtra pas de son travail postérieur. On note également de sérieuses influences des peintres Delaunay ou Nicolas de Staël dans les tableaux des années 20.

À partir des années 30, un style propre, issu du futurisme, commence à se dégager. Certains travaux approchent de près l'abstraction sans jamais y céder. Les thèmes les plus récurrents dans ces années tournent autour de sa passion pour l'aviation, la vitesse et les sensations qu'elle procure. C'est quand l'avion passe au dessus de la ville que les tableaux mêlent futurisme et architecture.

Explorons le traitement de la ville moderne et de son architecture à travers huit tableaux représentatifs de Tullio Crali. On pourrait même être amené à se demander si l'on peut parler de peinture Art Déco. Les images appartiennent à leur auteur. Pour plus d'information et de nombreuses images supplémentaires, voir le site web de Tullio Crali.

Les années 20

La voyez-vous ici l'influence des époux Delaunay et peut-être encore davantage de Robert Delaunay (le style de Sonia Delaunay, plus jeune que son mari, se développant un peu plus tard) dans l'utilisation de couleurs vives juxtaposées, de formes simples. Le cercle, l'arrondi est toutefois beaucoup moins présent ici encore qu'il semble dominer dans les airs, là où la terre s'est approprié le cube. L’œil est toutefois très attiré par ces deux triangles rouges, qui se détachent du reste de la ville. Des cheminées sans doute ; ce qui a son importance car la ville ici n'est pas seulement la ville moderne américaine fantasmée par un européen qui a grandi à 6 000 Km de New-York, une ville qui ne serait que beauté et innovation, mais également ville industrielle, où l'ouvrier a encore sa place. Aucune notion de perspective ici.

En regardant le tableau un peu plus en profondeur (et c'est sans fin), on remarque deux jets de lumières, figurés par des triangles jaune pour l'un, blanc pour l'autre. Si le blanc part d'un immeuble et éclaire le ciel, servant peut-être de repaire pour les véhicules aériens, le second part du ciel, suffisamment haut pour que sa source ne soit pas visible ? Il vient sans doute d'un aéronef quelconque, peut-être un ballon dirigeable ?

Aéroplanes sur la ville, 1926

Le cubisme

Tout y est pour parler de cubisme dans ce tableau, jusqu'à l'utilisation de la palette de couleurs. Les bâtiments s'élèvent en hauteur grâce à des lignes verticales et sont coupés en diagonale par des jets de lumière. Les immeubles ne sont pas dessinés ; tout juste sont-ils figurés par des volumes s'élevant toujours plus hauts.

Les lumières de la ville, 1931

Ce deuxième tableau se rapproche également du cubisme mais on a du mal à croire qu'il s'agisse du même peintre. La lumière, ici, n'est plus figurée par des lignes droites mais par des tons de couleurs différentes. Ainsi, les couleurs tournent-elles de plus en plus vers les tons pastels au fur et à mesure de l'ascension des gratte-ciel. Cette ville moderne semble émerger des nuages. C'est la raison pour laquelle, contrairement au premier tableau décrit ci-dessus, l'arrondi appartient au royaume de la terre alors que seule la ligne droite a droit de cité dans les airs.

Destruction et construction, 1932

Vues aériennes

C'est en 1928, encore très jeune, que Tullio Crali découvre l'aviation. L'année suivante, il invente le concept d'aéropeinture et coécrit le Manifeste de l'aéropeinture. Il y évoque l'intérêt des hauteurs pour envisager des perspectives différentes et l'obligation, dès lors, de faire abstraction des détails. On trouve des toiles d'intérêt divers pouvant s'inscrire dans ce mouvement jusqu'à la fin de sa vie.

Dans le premier tableau ci-dessous, c'est le mouvement circulaire et légèrement déformant qui est au cœur du travail. Et puis une ville à l'envers, ce n'est pas si commun !

Chasse aérienne, 1936

Le second est celui qui se rapprochera le plus, d'après moi, du futurisme. Cette petite ville italienne, proche de la campagne est étirée sous l'effet de la vitesse et elle est présente à la fois en haut et en bas pour rendre l'effet inconfortable du looping.

Grand tour, looping, 1938

Le traitement de la ville ici est tout à fait différent. Pour commencer, nous sommes de retour dans une ville imaginaire, faite uniquement de très hauts immeubles aux formes très simples ; c'est le travail sur la perspective qui est ici essentiel, à l'inverse des deux précédents. Une autre nouveauté, c'est la présence de ce cockpit, comme si l'on avait le point de vue du copilote, pour changer. Tullio Crali travaillait-il à partir de photos ? On peut le penser.

Passage en zone habitée, 1938

Mais aussi...

Que dire de ce tableau si particulier, en noir et blanc sur le site de l'artiste - il m'est impossible de savoir si l'original est en couleur. Nous avons trois niveaux de traitements ici. Dans la partie haute, c'est le flou total dû à la distance, qui devient de plus en plus nette pour arriver à un traitement des plus classiques, avec des perspectives parfaitement respectées. Au centre, plusieurs perspectives sont superposées et dans le bas du tableau, tout n'est plus que formes indistinctes.

Bien d'autres exemples d'aéropeinture sur le site https://citoyenfn.wordpress.com/2015/09/06/aeropeinture-tulio-crali/.

Looping renversé, 1938

Merveille des merveilles

C'est avec ce tableau incroyable que j'ai découvert l'artiste.Il y a tout dans ce tableau. Et cette fois, vous serez d'accord, le traitement architectural, beaucoup plus précis - donc beaucoup moins futuriste - se rapproche vraiment de l'Art Déco même si le détail ne montre aucun motif ou aucune sculpture.

Pour peindre cette ville fantasmatique, l'artiste s'est placé légèrement à l'extérieur, dans un emplacement séparé du centre par un bras de mer - comme l'Hudson River à New-York -, ce qui est mis en évidence par la présence d'un paquebot. Les immeubles ne sont que lignes droites, organisés en pyramide, dont la stricte organisation est coupée par des des cercles concentriques partant du centre bas du tableau.

Le paquebot n'est pas le seul moyen de transport visible dans cette toile. On repère également rapidement un dirigeable ainsi que tout en bas à gauche, plus discrets, deux trains. Après m'être penché sur une grosse partie de l'oeuvre de Tullio Crali, je peux vous dire que la grande absente est la voiture. Pour l'artiste, si proche de l'aviation, le symbole de la modernité et de la vitesse n'est jamais la voiture.

Ce tableau est tellement incroyable qu'il mériterait un article à lui tout seul !

Architecture ou Paysage urbain, 1939


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