Photographe Art Déco, un métier à haut risque

Aujourd'hui même, en commençant à photographier une façade, dans le XX^ème arrondissement de Paris, j'entends une voix féminine me lançant « Elle est belle notre maison, hein ? ». L'immeuble était en effet de belle facture et il me faisait plaisir d'en parler. J'ai pu avoir un complément d'informations avant de souhaiter une bonne journée à mon interlocutrice d'un jour. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres des bienfaits de mon violon d'Ingres.

C'est parfois un peu plus difficile... On me dévisage parfois pendant plusieurs minutes, on me lance un « Oh, les photos, là... » depuis le balcon, on m'interroge fermement sur ma présence sur les lieux, on me demande pour qui je travaille... mais les choses sont allées trop loin aujourd'hui...

Au gré d'une promenade dans le XX^ème arrondissement, une bâtisse m'attire au loin. Je m'engage dans la rue. Arrivé à hauteur du bâtiment, je m'aperçois que je suis tombé sur tout un ensemble de HBM (Habitations à Bon Marché) de l'entre-deux-guerres, une douzaine de bâtiments en brique de plusieurs couleurs très très intéressants. Je tiens mon appareil à la main. Une même communauté (que je ne nommerai pas car là n'est pas l'essentiel) semble principalement occuper ces logements. Les plus jeunes sont au pied de la petite cité, certains sont à pied, d'autres en vélo... On me lance un : « Pas de photos ! ». Je ne sais pas bien de qui vient l'injonction et j'entends à nouveau dans un gros brouhaha : « On veut pas de photo, ici ! », « Oh, pas de photo ! ». Je me retourne et j'interroge : « Mais, pas de photo de quoi ? ». « De tout ! Pas de photo, c'est tout », ai-je obtenu pour toute réponse ainsi qu'un projectile qui me frôle le sac. J'obtempère simplement en disant « D'accord, pas de photo ». Je continue mon chemin en rangeant mon appareil photo dans mon sac quand je reçois un caillou dans le dos, lancé à vive allure. Je me retourne et je dis « Il n'y a aucun problème, il n'y aura pas de photo ». Plusieurs me suivent, à pied ou en vélo. Je vois l'entrée d'un parc, à ma droite. C'est une aubaine, je l'emprunte, elle me permettra sans doute de changer de rue facilement et de croiser un public différent. Je vois les cyclistes qui longent le jardin par la droite. Le parc est vide... Damnation ! Arrivé en bout de parc, pas de sortie, celui-ci fait simplement une boucle. Eh bien, on dirait que je n'ai pas le choix ! Je vais ressortir. Jusqu'ici ça allait encore malgré la moyenne douleur dans le dos mais à ce moment-là, j'ai commencé à avoir peur, quand je suis tombé sur une tête connue à l'entrée du parc... la jeune retraitée avec laquelle j'avais si bien discuté cinq minutes auparavant.

Elle est venue spécialement pour moi. Après avoir entendu des « Y a un type qui prend des photos ! », elle a craint pour... mon intégrité physique, disons, et est venue à ma rencontre. Ses premiers mots furent « Excusez-moi, j'aurais dû vous prévenir de ne pas venir par ici ». J'apprends qu'il s'agit d'une plaque tournante de la drogue dans le quartier, que personne n'y met jamais les pieds, en dehors de la police qui fait des descentes musclées une fois de temps en temps. Je suis ma bonne fée en dehors de ce quartier. Nous marchons tous les deux à vive allure sans nous retourner.

Deux heures plus tard, le dos est à peine sensible, il n'y a pas de quoi fouetter un chat mais je crains d'avoir perdu un peu de mon entrain, de ce qui me met en joie quand j'approche d'un bâtiment Art Déco, un appareil photo à la main. En tout cas temporairement. Alors relativisons. Ce genre de mésaventure reste rare.